Pourtant Edward Smith n’était pas aux commandes

Nous sommes le vendredi 2 mai, il est 7h47. Je sors de mon appartement. Pendant que je referme la porte, j’entends comme un bruit d’eau qui coule. Enfin qui coule, plutôt qui tombe en cascade. J’ai l’impression que ça vient de mon ancien appartement.

Je me dis que des ouvriers doivent être en train de réparer des trucs. J’aurais commencé par remettre un plancher à l’appart du mort. Mais je ne suis pas dans la tête de ces gens. J’ai tout de même un doute et j’essaye de rentrer dans ex logement. C’est fermé. Je tente celui du mort mais pareil. En plus le son donne vraiment l’impression de venir d’en bas. Bon je n’ai pas que ça à faire. En plus c’est pas à moi de gérer l’immeuble. Je pars donc au travail.

Vers 10h je tente un appel à l’agence immobilière mais comme j’imaginais personne ne décroche. Un lendemain de jour férié, tout le monde doit faire le pont. Déjà qu’en temps normal c’est la croix et la bannière pour les joindre.

Nous sommes un vendredi donc le soir je suis de sortie, je rentre chez moi il est 23h30. En glissant ma clef dans la serrure, j’entends encore ce bruit de flotte. Bon là plus de doute. Y a pas des ouvriers qui bossent à 23h. J’ouvre la porte et rentre dans mon appartement. Je dis rentrer, plonger serait plus approprié. En effet, le sol de mon entrée est couvert de 2cm de flotte et y a une mare dans mon salon. Génial.

Je ressors dans la cage d’escalier à la recherche d’une vanne de coupure. Je cherche partout. Je vais même toquer chez mon voisin. Pas de réponse et pas de vanne. Impuissant je décide d’aller me coucher.

À peine ma tête posée sur l’oreiller j’entends un raffut de tous les diables. C’est Ludivine. Ludivine c’est le nom que j’ai attribué à la souris qui passe ses nuits à faire des courses, des dérapages, du parcours dans mon appart. Cette conne est grosse comme une balle de ping pong, elle fait presque autant de bruit que ma voisine albanaise qui appelle sa sœur en visio.

J’essaye de faire abstraction de tout ça. Mais l’idée, qu’un torrent se déverse à l’instant même dans l’immeuble, est peu propice au sommeil. Je me relève. J’envoie un message au chef des nains (connu par d’autres personnes sous le pseudonyme d’électricien sexy) dans l’espoir qu’il ait une idée originale. Il ne peut malheureusement pas faire de miracle. Je tente le tout pour le tout. J’appelle les pompiers.

On est sur une urgence. A priori y a pas de vie humaine en jeu. Au pire je me fais remballer. Au mieux, ils viennent, ils me sauvent et pour les remercier je leur taille une pipe. Allez, je me lance.

« Les pompiers bonjour. » – Bonjour, y a une fuite d’eau dans l’appartement voisin. J’ai plein d’eau chez moi. « Vous savez d’où ça provient ? Vous avez essayé de prévenir votre voisin ? » – L’appartement est vide. Et j’ai l’impression que ça provient de l’appartement qui jouxte le mien. En tout cas le bruit et l’eau viennent de là. « Vous savez où est la vanne principale ? » – Pas du tout. « Si on intervient, il faudra qu’on sache où est la vanne. » – Ok je vais chercher. Merci bonne soirée. « Bonne soiree ». Je me dis il est un peu con Marcel. Si je savais où était la vanne, je n’aurais pas besoin de les appeler. Tourner un robinet, ça va je maîtrise. J’ai pas trop le choix, je me recouche.

Vous vous doutez que j’ai particulièrement bien dormi. Au petit matin, je consulte les horaires d’ouverture de l’agence immobilière. J’ai peu d’espoir. En temps normal ils sont déjà nuls, alors là après un jour et férié et dans l’urgence… Je ne m’attends pas à grand chose. Ils ouvrent à 10h. Ça me semble être une éternité à attendre.

Vers 8h j’entends le bruit du volet du restaurant. Je descends pour voir si le restaurateur peut m’aider. Je frappe à la porte et entre sans attendre la réponse. C’est la mère du propriétaire qui est là. Elle est catastrophée. Et pour cause. La scène est à peine descriptible. Des cascades tombent du plafond. Chaque spot du plafond sert de passage à l’eau. On patauge dans 4 cm de flotte. L’eau tombe sur les fours, la caisse enregistreuse. Le présentoir réfrigéré est rempli d’un liquide suspect. On dirait le Titanic, Jack en moins. J’explique à la Josette que l’eau provient sûrement de mon ancien appartement, mais que je n’y ai pas accès. Je lui demande si elle sait si une vanne générale est présente quelque part. Elle me conduit dans la cave du restaurant. C’est un circuit assez complexe. Je découvre une vanne positionnée sur un tuyau qui remonte. Je tente. De toute façon je ne risque pas grand-chose. Je remonte chez moi.

À 10h, empli d’audace, je téléphone à l’agence immobilière. Je tombe sur Robert à qui j’explique la situation. Lui me répond que lui seul est présent. Il va faire un mail à la gestionnaire. – J’ai du mal à comprendre. Si vous êtes là c’est pour les urgences et là c’est une urgence. Si vous faites un mail madame Chi** va en prendre connaissance au mieux mardi. Là y a le restaurant au rez de chaussée qui est sous l’eau. « Je ne peux rien faire de plus. » Je raccroche, atterré.

Je descends pour annoncer qu’aucune aide n’est à espérer de l’agence immobilière. Et je tombe sur le restaurateur. Il est au tel avec son assurance. J’attends qu’il termine. Il me demande si j’ai trouvé d’où provenait l’eau. J’explique que d’après moi ça vient de mon ancien appartement (il connaît l’histoire). Je lui raconte mon échange avec le mec de Citya. Il n’est pas plus étonné que ça. De son côté il a appelé la belle fille de la propriétaire qui s’occupe un peu de l’immeuble. Elle arrive avec un plombier.

Je remonte chez moi. Putain quelle histoire encore. Faut toujours qu’il m’arrive des trucs merdiques. Mon téléphone sonne. C’est l’agence immobilière qui rappelle. Étrange. – Oui ? « C’est Robert. J’ai eu madame Chi**. Je l’ai dérangé pendant ses congés.» (Je me suis demandé si il voulait une médaille). « Elle m’a précisé que ce n’était pas possible que ça vienne de votre ancien appartement. L’arrivée individuelle a été coupée après votre départ.» Là j’ai rigolé, parce qu’il n’y avait que ça à faire. -Vous n’auriez pas dû déranger madame Chi** pendant ses vacances, surtout pour qu’elle réponde n’importe quoi. Parce que je suis pas complètement débile, l’eau vient bien de mon ancien appartement. Et y a jamais eu de vanne individuelle. C’est bien elle ne loupe jamais une occasion d’être ridicule. Laissez tomber, la propriétaire a géré le problème, un plombier arrive.

Quelques minutes plus tard, j’entends des voix dans la cage d’escalier. Je sors et tombe sur la belle fille de la propriétaire. Y a quelques années, elle était passée pour l’éclairage du couloir, donc on se reconnait. Elle me demande si je n’ai pas de dégâts. Je lui montre l’eau dans mon entrée et dans la pièce de vie. Je lui demande si ils ont trouvé l’origine de la fuite. « Non pas encore, figurez vous que l’agence immobilière a perdu les clefs des appartements. J’ai dû faire appel à un serrurier en urgence. »

Et effectivement cinq minutes plus tard, j’entends que l’artisan est en train de percer un barillet. J’attends un peu pour qu’il puisse bosser tranquillement. Et je sors pour avoir des news. Je tombe sur le mec de la belle fille. Il me dit que c’est tout bon. Le plombier est descendu pour remettre l’eau. Quelle efficacité. Je l’interroge pour savoir si ils ont pu déterminer  « la source » (quel blagueur je fais) de toute cette eau. Il m’explique que ça venait de mon ancien chauffe eau. Il n’avait jamais été éteint après ma sortie. Je l’accompagne dans mon ancien logement . C’est très bizarre comme impression. Pour rappel, voir la série d’articles La vache qui tache, il n’y a plus de plafond. Maintenant y a 3 cm de flotte au sol. Et pourtant c’est bien cet appartement où j’ai vécu plusieurs années. J’étais ici quand j’ai décidé de reprendre des études. Ce fut mon repère pendant le COVID. Et au moins y avait pas de souris. Bref je suis un peu triste qu’il finisse comme ça.